ÉDITORIAL. Émeutes en Nouvelle-Calédonie : les fantômes d’Ouvéa

  • Sébastien Marti.
    Sébastien Marti.
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Parce que l’histoire contemporaine de l’archipel s’est écrite dans le sang, rien n’a jamais été simple entre la métropole et la Nouvelle-Calédonie. La trêve observée depuis presque quarante ans entre les Kanaks et les Caldoches, ne doit pas faire oublier le climat d’extrême violence qui a prévalu dans l’île au début des années quatre-vingt sur fond de revendications indépendantistes. Assassinats, exécutions sommaires, lynchages, règlements de comptes racistes… se sont succédé de part et d’autre jusqu’à l’épilogue tragique de la grotte d’Ouvéa, en 1988, à la veille de l’élection présidentielle.

Les événements d’Ouvéa et la tuerie de la gendarmerie de Fayaoué, survenue quelques jours plus tôt, ont créé un profond traumatisme dans la population. Ce déchaînement de violence, seulement atteint lors des guerres coloniales, a longtemps conditionné les relations entre Paris et Nouméa. La poignée de main échangée entre les deux grands leaders calédoniens, l’indépendantiste Jean-Marie Tjibaou et le loyaliste Jacques Lafleur, en marge des accords de Matignon de 1988, a ainsi symbolisé le début de la coexistence pacifique entre les deux communautés.

Même si trois référendums sur l’indépendance ont eu lieu et ont donné raison aux loyalistes, le statut de l’île n’a jamais été véritablement tranché. « Les accords de Matignon ont assuré 40 ans de stabilité. Les scénarios prévus sont arrivés à expiration après les trois référendums. Il nous faut réécrire une page de notre histoire commune et partagée », analyse le sénateur du Tarn Philippe Bonnecarrère, fin connaisseur de la situation.

Or depuis quelques jours, les scènes d’insurrection convoquent les fantômes du passé et font craindre le pire. Cinq personnes sont déjà mortes, dont deux gendarmes, dans un climat de guerre civile. Emmanuel Macron a été contraint de déclarer l’état d’urgence, une première depuis les attentats terroristes de 2015.

La France est-elle en train de livrer sa dernière guerre d’indépendance ? Initialement, le feu qui couvait a été attisé par une réforme mal comprise, qui va réduire le poids des indépendantistes en élargissant le socle électoral. Mais des puissances étrangères ont aussi soufflé sur les braises pour déstabiliser l’Elysée. Le gouvernement a ainsi dénoncé le rôle trouble de l’Azerbaïdjan proche de Moscou, qui inonde le réseau TikTok de désinformation massive.

Davantage qu’une révolution aux Antipodes, on serait tenté de voir là l’expression d’une révolte sociale, comme en Guyane ou à la Réunion, ces morceaux de France où l’action de l’Etat parvient toujours en différé. Ce n’est pas un hasard si les émeutes surviennent alors que la filière du nickel, qui fait vivre un quart de l’archipel, est en difficulté. Sans doute faudrait-il commencer par là…

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Les commentaires (4)
offen Il y a 14 jours Le 17/05/2024 à 17:23

Ouvea, Fayaoue... Comment peut on oublier ces assassinats !!!
L' Histoire de temps en temps bégaie.
Nos dirigeants actuels n' étaient pas nés pour se souvenir de ces événements et des leçons à en tirer. C'est peut être la seule excuse que l'on peut leur trouver.
Comptons sur notre "ami" de Moscou pour souffler sur les braises ( en allemand son nom s écrit : P.t.n) .
Sincères condoléances aux familles des gendarmes mais n oublions pas les autres morts qui sont français.
Qui est Ministre de l' Outre Mer? Surprenant que personne n'est rien vu venir. Il est vrai que les J.O. sont prioritaires.

6hif Il y a 14 jours Le 17/05/2024 à 11:42

"la tuerie de la gendarmerie de Fayaoué" Merci d'en reparler : vous êtes à peu près le seul !!

Fafnir Il y a 15 jours Le 17/05/2024 à 06:44

"L'enfer est pavé de bonne intentions". Bernard de Clairvaux

6hif Il y a 14 jours Le 17/05/2024 à 11:41

Oui, mais on dit aussi "il n'y a que l'intention qui compte !" !